L'anchois et la mer
Il est nommé “antxoa” au Pays Basque, “amarou” vers Nice et “amplovo” en Provence. Le nom “anchois” provient du génois ”anciôa” qui signifie “petit poisson de mer”. La maison Roque est une entreprise familiale historique d’anchois. Créée à Collioure en 1870, elle a su se faire un nom et se développer à grande échelle. Depuis quelques années, la production d’anchois dans la mer Méditerranéenne est compromise car ils sont en voie de disparition dans le bassin. Les causes ? La surpêche, la pollution des eaux, le réchauffement climatique. C'est dans le Golfe du Lion, Sète, Port-Vendres, Marseille et Collioure que les anchois étaient le plus développés, comme en attestent des archives de barques à ras-bord, photographiées telles des trophées. La pêche à l'anchois se pratique à l'aide de filets appelés rissoles. La nuit, les poissons sont attirés dans les filets à l'aide du lamparo, un bateau équipé de lampes. Mais le secteur est de plus en plus sinistré, les bateaux disparaissent un à un, les pêcheurs émérites partent à la retraite, les nouvelles générations ne reprennent pas le flambeau, trop désillusionnées. Le dernier chalutier de la région, situé à Port-Vendres, vient d'arrêter son activité. En plus d'être moins nombreux, les anchois pêchés en Méditerranée se rapetissent. La raison avancée est que le plancton dont ils se nourrissent diminue en abondance et en taille et devient moins énergétique pour eux. Cette maigre taille est problématique car cela affecte leur valeur nutritive. Pour faire face à ce problème, l’entreprise Roque doit trouver des solutions : elle importe désormais des anchois d’Espagne, du Portugal et d'Argentine. C'est une nouvelle économie, mais le savoir-faire reste authentique et méticuleux depuis ses débuts. Ce sont quasi systématiquement des femmes qui équeutent et étêtent les poissons. Elles travaillent depuis toujours manuellement pour enlever les arrêtes et la tête des anchois, un par un. Au milieu d'une atmosphère moite, elles discutent, rigolent. Ce moment mécanique et rigoureux s'entrecoupe de moments de vies. Cette partie de la production s'inscrit aujourd'hui dans un folklore régional. Une fois triés, les poissons sont dorlotés, ils ont besoin au minimum de six mois de maturation. Les meilleurs anchois dorment parfois jusqu'à cinq ans dans des tonneaux. Ces anchois, je les goûte depuis petite, j'ai encore leur goût salé en bouche. À travers ce travail, je tente de questionner l'adaptation de nos consommations face aux changements des écosystèmes et je souhaite montrer la résilience d'une industrie, à travers une expérience ancestrale, qui se transmet de mains en mains.